14 Juillet, la Marche officielle de l’amnésie nationale : défilons, oublions !
Ah, le 14 juillet… cette journée où la République sort son plus bel uniforme, cire ses chars à la paraffine du patriotisme, et déroule le tapis tricolore pour les héros de la mémoire officielle. Défilé impeccable, fanfare à l'heure, drapeaux au vent… et grands absents bien rangés derrière le rideau.

Sur les Champs-Élysées, tout est ordre, prestige et reconnaissance… mais attention, à géométrie très variable. On y célèbre « ceux qui ont servi la France », mais surtout ceux dont le souvenir ne dérange pas trop la photo de famille. Car au fond de la tribune républicaine, il y a ceux qui attendent encore d'être nommés. Ceux dont l'histoire dérange le récit national bien repassé.
Prenez les militaires d'active algériens. Non, pas les harkis. Ni les supplétifs. Parlons des engagés dans l'armée française régulière, sous contrat, galons sur l'épaule, dévoués jusqu'au sang. Ceux-là ont combattu pour la République, porté ses valeurs, défendu son drapeau… et fini parqués dans des camps, comme s'ils étaient des clandestins de leur propre engagement.
1962. La République signe les accords d'Évian, proclamant la paix et blanchissant tout le monde d'un même geste : tortionnaires, commanditaires, officiers, politiques. Amnistie générale. Oubli automatique. Silence garanti. Les crimes de guerre ? Classés. Les exactions coloniales ? Effacées. Et pendant que la France se félicite de « tourner la page », elle en arrache quelques-unes au passage : celles des soldats algériens, trop fidèles, trop gênants. Engagés, mais déshérités. Ni supplétifs, ni traîtres : juste encombrants.
Et les harkis, parlons-en. Supplétifs de fortune, enrôlés dans la peur ou la misère, souvent par fidélité, parfois par survie, abandonnés aux couteaux de la vengeance puis évacués à la va-vite. Réception glaciale. Camps de fortune. Décennies de relégation. Et aujourd'hui ? Une reconnaissance tardive, partielle, conditionnelle. Une cicatrice mal maquillée à chaque discours.
Tous ces hommes ont versé leur sang pour la France, parfois jusqu'au sacrifice ultime. Mais à l'heure de la reconnaissance, la République trie ses morts. Il y a les héros officiels, ceux qui défilent. Et les oubliés institutionnels, ceux qu'on range derrière les buissons de l'histoire, entre deux lois floues et trois circulaires d'évitement.
Le 14 juillet, pendant que la musique militaire fait vibrer les boulevards, leurs familles vibrent d'amertume. Elles regardent défiler les Légions d'honneur et les médailles dorées… sans jamais voir passer leur propre histoire. Pas de panneau "Merci aux invisibles". Pas de fanfare pour les sacrifiés de la mémoire. Juste un grand silence bien entretenu.
Mais ne soyons pas trop durs : ils ont tout de même eu droit à des camps, des promesses non tenues, des discriminations administratives, et un oubli parfaitement organisé. C'est déjà une forme d'attention.
Alors ce 14 juillet, levons les yeux vers les avions qui tracent le ciel… et demandons-nous combien de ces soldats algériens, harkis ou militaires d'active, ont vu ces mêmes avions en priant qu'un jour la France reconnaisse ce qu'elle leur doit.Peut-être qu'un jour, sur les Champs-Élysées, on verra défiler la vérité. En attendant, le cortège continue… sans eux.
Mireille BOUGLOUF